Opinion: l'euro est une erreur d'ingénierie.
Rappel: Le traité de Maastricht signé en 1992 établissait le statut de la future BCE et du Système Européen des Banques Centrales. Le choix politique d'intégrer ou non la zone euro a été fait en 1998, sous réserve que le pays remplisse les critères dits de convergence, et d'autre pays ont rejoint plus tard le groupe initial (la Grèce en 2000).
Les pays de l'eurozone reconnaissent l'autorité de l'eurosystème, constitué de la BCE et des banques centrales participantes. Le pendant politique à ce système se limite à la réunion mensuelle et informelle des ministres des finances des états membres connu sous le nom d'eurogroupe. C'est dans cette insuffisance que réside l'erreur d'ingénierie du système. C'est pour cela que le système de l'euro est menacé d'implosion. L'euro est une monnaie fiduciaire sans état, et tout simplement, cela ne semble pas vouloir fonctionner.
Seconde erreur d'ingénierie: la confusion entre union européenne et eurozone. Partager une même monnaie supposait une intégration budgétaire beaucoup plus poussée que l'adhésion à l'union européenne. Il aurait fallu ratifier un traité de l'eurozone spécifique. Ainsi le pacte de stabilité et de croissance concerne l'union européenne et ne convient pas à la zone euro: il n'a pas été respecté.
Troisième erreur d'ingénierie: Dans ce traité de l'eurozone, il fallait des clauses précises prévoyant la sortie de l'eurozone pour un pays qui le souhaiterait. Il fallait aussi repréciser les modalités d'un choix qui engageait chaque citoyen afin d'assurer que ce choix soit démocratiquement valide.
Cette erreur d'ingénierie est idéologique: Les artisans ne voulaient pas d'une Europe "à la carte", et c'est pourtant ce que les peuples ont choisi. Les artisans voulaient "forcer" l'Europe à se constituer politiquement en commençant par la monnaie unique. Cela ne semble pas marcher. En démocratie, les peuples vont à leur rythme, on ne peut pas les forcer à avancer. Et de fait, la construction européenne s'est faite dans une régression de la démocratie: instances non élues, technocratie.
On pourrait dire que des technocrates incompétents en matière financière ont confisqué la décision au mépris de la volonté des peuples européens eux-mêmes. On voulait l'Europe pour avoir une meilleure démocratie, on a eu une Europe de la dictature des technocrates. Les allemands n'ont pas été consultés pour l'euro, car ils auraient dit non, et les français seulement pour Maastricht et de justesse. Mais souvenons-nous de l'enthousiasme collectif à voir se concrétiser cette grande idée européenne avec les nouveaux billets: la facture du romantisme passé nous parait bien salée aujourd'hui.
Maintenant on a un énorme monstre en roue libre, la BCE, qui rachète des obligations pourries et pratique l'assouplissement quantitatif de façon plus ou moins opaque. Ce monstre ne laisse pas s'échapper ses proies: Ses crochets sont les traités européens, conçus pour être à sens unique. Le risque est qu'un vote populiste n'écarte les eurocrates du pouvoir: des pays ruinés et déstabilisés sortiraient alors de façon anarchique de la dépouille du monstre. Voilà du moins une perspective qu'il est prudent de se préparer à affronter.
Qui peut agir? L'Allemagne doit considérer l'entreprise dans laquelle elle s'est engagée dans toute sa dimension. Et choisir de l'assumer pleinement ou bien encore de tuer l'euro avant qu'il ne nous ruine tous. L'Allemagne pourrait reconsidérer ses engagements envers la BCE et réintroduire le DM. Si elle fait cela, le plus tôt serait le mieux.
Pour l'étranger, l'euro est comme le deutsche mark. Sans l'Allemagne, la nasse ne se serait pas constituée. Il y a un parallèle entre la façon dont l'Allemagne a intégré la RDA en 1990, en imposant une parité monétaire aberrante avec le mark de l'est, et la façon dont l'union monétaire européenne a été réalisée. Même maladresse, même effort considérable assumé sans trop de considération pour ses voisins. Mais ce que l'Allemagne a réussi à faire avec la RDA, ne semble pas réalisable avec l'eurozone, pas sans intégration politique. Erreur de stratégie.
Cette erreur a un coût pour l'Allemagne: ce coût est la signature de la Bundesbank. Un prémisse de ce coût est dans la démission d'Axel Weber de la présidence de la Bundesbank et du conseil de gouvernement de la BCE en avril 2011. Quelles que soient les raisons du départ de cet économiste compétent, le système y perd en crédibilité. Un autre économiste, Jurgen Stark, démissionne de la BCE en septembre 2011. Mon sentiment est que ces deux hommes quittent un système qui se déshonore par une politique irresponsable. Avec leur départ, on peut dire que l'euro n'est plus le deutsche mark, mais une sorte de zombie, tellement énorme et internationalisé qu'il ne va pas se dégonfler d'un coup mais plutôt faire illusion et sucer la moëlle de ses victimes hypnotisées pendant encore un certain temps.
La valeur d'une monnaie papier, d'une monnaie fiduciare comme l'euro, c'est la confiance que les investisseurs lui accordent. Cette confiance ne repose pas seulement sur l'économie, elle repose sur l'entité que la monnaie représente. Si cette entité sonne creux, si elle est constituée d'un accord politique fragile, si elle n'assume pas ses responsabilités ou si elle menace de se désagréger, alors la monnaie n'a guère de substance: est-ce que ce billet papier saura protéger mes économies?
C'est comme si l'histoire se répétait à l'envers: ce ne sont plus les réparations que l'Europe d'après 14-18 imposait à l'Allemagne et qui ont détruit le mark de Weimar, mais cette fois l'erreur d'ingénierie collective d'avoir créé une monnaie faite de bureaucratie et de belles déclarations, où l'on prend ses désirs pour des réalités, afin de satisfaire un rêve européen, et qui semble destinée à ruiner peu à peu la majeure partie de l'Europe.
Enivrés par l'air des cîmes, nos technocrates se sont cru pousser des ailes: à peine sortis de leur petite bulle nationale, ils ont ignoré les avertissements des financiers plus rodés qu'eux; ils ont vendu à leurs peuples un autre Titanic, avec ticket obligatoire vers un naufrage probable sur les récifs de l'Italie: ça va faire mal.
Y-a-t-il un espoir? En finance, on préfère évaluer des risques. Il faudrait que la Grèce devienne l'Allemagne, ou du moins comme une Allemagne de l'Est qui fait des efforts pour être aussi virtueuse et performante que sa voisine. Cela va passer par des troubles sociaux, des émeutes, des crises. C'est un travail, un accouchement long, énorme et dangereux. L'issue en est extraordinairement incertaine. Le monde sera-t-il patient et bienveillant? On aurait pu éviter tout ceci, on aurait du commencer par les européens eux-mêmes.
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