jeudi 23 février 2012

TARGET2, la bombe à retardement

Opinion.
TARGET pour Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer system, Version 2.
Sujet technique difficile, mais incontournable: c'est une clé pour comprendre le problème d'ingénierie de l'euro .

L'Eurozone est un système de banques centrales. Les achats d'un pays à l'autre doivent se traduire par des transferts entre les banques centrales du système. C'est ce que fait le TARGET: il s'agit d'une chambre de compensation.

Les banques dans chaque pays disposent d'un compte auprès de leur banque centrale. Les banques sont tenues de conserver des "réserves" auprès de leur banque centrale, qui doivent être d'au moins 2% des dépôts que les clients leur confient. Ces réserves sont échangées au jour le jour sur le marché inter-bancaire, à un taux qui est le taux de refinancement déterminé par la BCE.

Les banques mal en point assurent leurs emprunts sur ce marché en gageant des collatéraux comme des obligations garanties par l'état. La banque centrale prête aussi aux banques et requiert des collatéraux.

Le problème vient de la valeur des collatéraux: Les banques centrales (et la BCE) acceptent comme collatéral les obligations d'état douteuses, comme les grecques récemment, ce qui rend les banques des pays en difficulté gros emprunteurs auprès d'elles. Du coup, les banques centrales de ces pays s'endettent d'autant auprès de TARGET, tandis que les banques centrales des pays exportateurs, comme l'Allemagne, se désendettent d'autant. Ce déséquilibre résulte des achats internationaux, mais aussi de la fuite des capitaux.

Résultat: Début 2012, vis à vis de TARGET, l'Allemagne, c.à.d. la Bundesbank, est créditrice de plus de 500 milliards d'euros dont les pays en difficulté de la zone sont débiteurs. Il s'agit d'un mécanisme de transfert incontrôlé, d'une erreur d'ingénierie du système, qui met en danger sa survie. Conséquence: la Bundesbank ne prête plus aux banques allemandes. Ce système n'est pas tenable sans que soit pris en compte au moins la qualité des collatéraux, ce qui limiterait la ponction.

Ainsi via TARGET, la BCE transfère l'argent de façon incontrôlée et non assumée, un rôle politique pour lequel elle n'a aucun mandat. Si j'ai bien compris, à un moment donné, au gré des restructurations de dettes européennes, le risque de sortie de l'euro d'un état va faire que les 500 milliards d'euros et plus ne seront pas garantis correctement. Il faudra aussi refinancer la BCE et les fonds de stabilisation. Les banques centrales vont devoir contribuer dans la mesure de leur capacité d'emprunt sur les marchés internationaux, entamer leurs réserves en or et devises et les gouvernements devront accroître la pression fiscale. Les règles prévues sur le papier pour le partage des pertes et le refinancement entre banques centrales ne seront probablement pas applicables, c'est dire qu'au bout du compte, le contribuable allemand risque de devoir supporter la plus grosse partie de l'affaire, avec des conséquences politiques imprévisibles.

Le timing de cette bombe à retardement est difficile à apprécier. Mais le danger croît avec le temps et la taille des pays menacés de faire défaut, dans un environnement difficile.

Pire, les LTRO (opérations à long terme de refinancement), c.à.d. les prêts à 3 ans que la BCE propose maintenant aux banques en acceptant des collatéraux variés, dans le but de faire baisser les taux des emprunts d'état, ces LTRO aggravent les mêmes déséquilibres et sapent davantage le système. Si on compare cet assouplissement avec ce que fait la réserve fédérale US, on pourrait juger que la FED achète des bons du trésor, alors que la BCE achète un peu n'importe quoi, en comptant sur cette bonne vielle Bundesbank pour régler l'ardoise, un jour.

D'ici à parler d'une conspiration des anciens de Goldman Sachs que sont Mario Monti et Mario Draghi, une banque que l'on soupçonne d'avoir participé au maquillage des comptes grecs, il n'y a qu'un pas que certains franchissent, un peu vite probablement.

Il ne faut pas attendre que les financiers exposent et sanctionnent nos erreurs. Nous devrions mettre à plat les déséquilibres, corriger les erreurs de conception, contrôler et redéfinir les pratiques de la BCE.

Dans tous les cas, il me semble indispensable de préparer un scénario pour permettre aux pays qui le choisiraient de quitter l'euro dans l'ordre, et assurer tout le système vis à vis de cette éventualité.

Est-ce que l'euro ne suit pas le schéma typique d'une escroquerie au projet ? soutirer le maximum à un naïf sur sa participation à un projet sans avenir, en profitant qu'il aurait trop à perdre pour sortir de l'arnaque, et puis disparaître quand le pigeon est ruiné. Souhaitons que l'euro ne soit pas un tel projet, que les contribuables européens n'en soient pas les victimes, que la BCE n'en soit pas l'instrument et que certains cercles financiers n'en soient pas les bénéficiaires, quand, au dernier moment, les pays quitteront la zone euro, feront défaut et dénonceront les traités. Cependant les souhaits sont insuffisants: nous devons nous préparer au pire.



Lire: Article du Frankfurter Allgemeine par Philip Plickert fév. 2012 en allemand
(trad. auto. en anglais) (trad.auto en français)


Le blog Sober Look: les LTRO fév. 2012 en anglais, (trad. auto. en français)
et Sober Look  les déséquilibres TARGET jan. 2012 en anglais  (trad. auto. en français)

Sur Goldman Sachs et le maquillage grec: Article Bloomberg 5 mars 2012 (trad. auto. en français)
Article Journal Le Monde nov. 2011

Henri Lepage sur Institut Turgot, TARGET et euro, le jeux sont faits (nov. 2011)

"TARGET2 Unlimited" par José M. Abad, Axel Löffler and Holger Zemanek (juillet 2011 PDF en anglais)


et le blog de RebelEconomist (en anglais)
(trad. auto. en français)


1 commentaire:

  1. discussion complète de TARGET2 http://www.robertmwuner.de/materialien_euro_literatur_target2.html

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